Présentation

Cette séquence, composée de deux scènes, résonne avec le début du film : nous assistons au réveil de Kane, suivi d’une nouvelle scène de repas. Fécondé par la créature, Kane accouche d’un foetus monstrueux qui introduit le thème central du film : la phobie de la procréation.

Questions
– Quels signes annoncent l’irruption du Chestburster au cours de ce second repas ?
– Relever les analogies entre ce repas et la Cène de Leonard de Vinci. Quel en est la signification ?
– Comment la sidération des astronautes est-elle mise en scène : regards, cadrages, bande son ?



Replay

Cette scène devrait être une scène festive qui efface d’une certaine manière les événements précédents : Kane s’est de nouveau réveillé, il renaît, le monstre a disparu . La première partie de la séquence réunit ainsi tout l’équipage autour de Kane, avec une série de gros plan sur leurs visages réjouis. D’une certaine manière le film pourrait redémarrer sur le mode bon enfant de la première scène de repas (de nouveau Ripley se sert à boire ; de nouveau Parker fait des blagues qui amusent les autres), voire dans une meilleur ambiance qu’au premier repas (Dallas « régale » pour le dernier repas avant l’hibernation sous l’approbation de Parker).

Le réveil de Kane est cependant plus difficile cette fois : le corps est endolori (Kane se masse le cou), un peu malade (Kane tousse). Aux fondus enchaînés lents et fluides du premier réveil font place les plans fixes, quasi cliniques, observant ce corps qui essaie de se ressaisir. Kane est vêtu d’un corset déboutonné qu’on peut interpréter comme un élément prémonitoire de « l’accouchement » à venir : cet accessoire qui symbolise l’enveloppe corporelle annonce en effet le rôle féminin de Kane et la déchirure de son ventre par le Chestbuster.




Un second repas

La scène suivante cadre l’ensemble de l’équipage joyeusement attablé autour d’une table circulaire dans une composition symétrique qui peut évoquer la Cène de Léonard de Vinci : Dallas et Lambert évoquent un « dernier repas » de manière prémonitoire, Ash jouera un rôle de Judas et Kane subira un supplice sanglant. La mise en scène met ainsi en œuvre le retournement de références culturelles partagées pour les faire basculer dans l’horreur. Cette inversion sera d’autant plus fortement ressentie que l’ambiance est chaleureuse et amicale, agrémentée des allusions grivoises de Parker.

Contrairement à la première scène de repas dans laquelle on ne savait quel personnage regarder, dans cette scène le regard du spectateur est principalement polarisé à partir d’Ash. Les plans sur Ash nous indiquent que tout n’est pas fini : assis à la même table que l’ensemble de l’équipage, il semble à l’écart des autres, regardant avec attention Kane. Le personnage installe une tension au sein d’une scène joviale : c’est ainsi après un regard de Ash sur Kane que la caméra s’avance vers le personnage, comme impulsée par ce regard scrutateur. Puis, quand Kane commence à s’étouffer, le regard de Ash est le premier à signifier que ce qui se passe est potentiellement grave (Parker, lui, continue sur le ton de la blague) avant que son « c’est sérieux » alors qu’il se lève, sonne le basculement de Kane sur la table et du film dans l’horreur. Le dernier plan de la séquence sur Ash désigne explicitement au spectateur son implication dans l’apparition de la créature.




Accouchement

La séquence présente une scène d’accouchement comme un éventrement subi par cet homme : les contractions sont des convulsions, le bébé est un monstre aux dents d’acier qui déchire le ventre qui l’a porté. Alien peut ainsi être vu comme une représentation phobique de l’enfantement, que la peur soit celle de l’accouchement lui-même (mourir en couche, accoucher par césarienne) ou de la nature de ce qui sortira du corps.

On peut également remarquer que cet accouchement se déclenche suite à une blague salace de Parker. C’est après que ce dernier ait affirmé très suggestivement qu’il mangerait bien autre chose que de la nourriture en regardant Lambert que Kane commence à s’étouffer. Ainsi une blague autour du sexe (féminin) déclenche le surgissement du monstre, ce qui n’est pas sans rappeler l’apparition du face hugger : de nombreuses critiques ont remarqué le caractère utérin du vaisseau qu’explore l’équipage et le fait que ce soit le personnage qui pénètre le plus loin à l’intérieur de l’utérus, Kane, qui soit le premier attaqué par la créature. Ainsi, que ce soit lors de la découverte du vaisseau, ou lors de cette scène d’accouchement, le fait de voir ou de parler de sexe (féminin) fait apparaitre le monstre, le fait sortir de l’œuf ou surgir de l’homme. Alien met ainsi non seulement en scène un certain nombre de peur liées à l’accouchement mais également la peur de l’acte sexuel comme acte de reproduction, la peur que la pénétration (Kane pénètre à l’intérieur du sexe féminin puis est pénétré par la queue du face hugger) engendre une fécondation (cf diaporama sur les métaphores sexuelles dans le film).



Une mise en scène de la sidération

L’efficacité dramatique de la séquence d’accouchement réside pour une grande part dans la mise en scène de la sidération des personnages qui confère au surgissement de la créature un fort impact émotionnel. Contaminée par les convulsions de Kane, la caméra, à l’épaule devient instable quand elle est, au-dessus de Kane qui se contorsionne. On ne sait si les sons gutturaux que l’on entend proviennent de Kane ou de la créature à l’intérieur de son corps ; la bouche grande ouverte est dans le même temps celle de Kane, de ses co-équipiers, de la créature qui vient de sortir mais aussi du spectateur. Enfin, cette confusion touche aussi les regards des personnages filmés en réactions shots : d’abord les regards affolés dans tous les sens de Lambert durant la scène ; puis, après que la créature se soit enfuie, les regards des personnages dont aucune se tourne dans la même direction : ils ne savent pas ce qu’ils viennent de voir, et ne savent plus où regarder.