Présentation

La scène de confrontation finale entre Ripley et l’Alien opère une transformation du rôle de Ripley : de jeune femme vulnérable et érotisée, victime désignée du monstre-violeur, elle se transforme en chevalier blanc pour éliminer la créature à l’issue d’un combat qui consacre la résilience de ce personnage héroïque.

Questions
– Comment la séquence montre-t-elle la transformation de Ripley en héroïne ?
– Quels sont les éléments visuels et sonores utilisés pour dramatiser le confrontation finale ?
– Quels éléments autorisent une interprétation féministe de cet épilogue ?



Ripley érotisée

Cette scène commence comme un moment d’intimité avec l’héroïne qui, pour la première fois dans le film, est érotisée. Enlevant nonchalamment ses vêtements, puis sa chaîne autour du cou, Ellen Ripley révèle son corps désirable de femme, en petite culotte et maillot de corps.

Mais comme dans la scène du Chestburster, la sexualité exposée, ici non plus verbalisée mais montrée, suscite l’apparition de l’Alien par le surgissement brutal de sa main crochue dans un effet de jump scare. Le monstre manifeste une nouvelle fois dans cette scène sa capacité à se fondre dans le vaisseau, pour apparaître de manière inattendue, dans une alternance dramatique de suspense et de surprise.





De la vierge au chevalier

Cachée dans le placard, Ripley est filmée en contre-plongée, révélant la pointe des seins et l’entrejambe de l’héroïne alors qu’elle enfile sa combinaison : la mise en scène insiste sur la sexualisation de Ripley en même temps que les gros plans sur son visage témoignent de sa vulnérabilité. Le contrechamp sur l’érection de la mâchoire rétractile de l’Alien, enduite de sécrétions translucides, manifeste la dimension sexuelle de la menace associant la mort et le viol.

De nombreux motifs installent la scène dans le registre du conte médiéval : la Belle promise à la Bête se transforme dans ce placard en un chevalier blanc se préparant au combat. Le casque est orné de motifs décoratifs, la combinaison brodée comporte des épaulettes et un plastron protecteurs et l’équipement de l’héroïne se complète d’un fusil-harpon qui évoque une arbalète.

Cette tenue ainsi que les gros plans sur ce visage sous le casque rappellent le début du film où l’on apercevait ces tenues au fond d’un plan et où se reflétaient sur un « emergency helmet » les codes numériques suscités par Mother : Ripley est celle qui a déchiffré le code, elle est le « emergency helmet » qui va délivrer ce vaisseau du monstre qui l’habite, qui le hante, qui la hante.

Cette scène est un face à face entre l’Alien et Ripley. Cette confrontation programmée est dramatisée par la lenteur de la séquence, un bruit de tapotement lancinant et la lumière intermittente dont les clignotements s’accélèrent progressivement. Si Ellen Ripley réagit dans un premier temps par le cri et la fuite, et si juste avant d’affronter la créature elle lui tourne le dos une dernière fois, c’est le regard fixe de Ripley sur l’Alien qui est mis en scène avec insistance après avoir revêtu son armure. Contrairement à Lambert, tétanisée face au monstre, Ripley ne quitte pas l’Alien des yeux : elle est passée du rôle de victime potentielle à celui de combattante à l’affût, préparant sa stratégie d’attaque. La femme d’action regarde le danger en face.





Expulser le monstre en soi

Ellen Ripley, enfermée dans sa tenue, s’avance et s’assied face à l’endroit où se cache l’Alien et se met à chanter « You are a lucky star ». Ces quelques mots sont extraits de la chanson d’amour finale de la comédie musicale Chantons sous la pluie (Stanley Donen, 1951). En chantant, Ellen Ripley se donne du courage, se souhaite de la chance mais aussi, avec le choix de cette chanson, reconnait quelque chose d’elle dans ce monstre.

Ce que cette fin révèle, notamment en nous présentant dans un des derniers plans, Ripley allongée comme une Belle au bois dormant dans son cercueil, mais aussi lorsque Ridley Scott évoque la scène comme une confrontation entre la Belle et la Bête, c’est qu’en fait, ainsi que Bruno Bettelheim le développe dans sa Psychanalyse des contes de fées, ce monstre incarne un désir qui lui fait peur et avec lequel elle se débat, dans ce monde presque exclusivement masculin… Le film raconterait alors l’histoire d’une femme qui affronte sa peur du sexe masculin et plus largement de la maternité vécus comme une aliénation, une atteinte brutale à l’intégrité corporelle.

Dans cette perspective, l’utilisation de la fumée, du clignotement lumineux et de la lumière rouge qui baigne le visage de Ripley peuvent occuper deux fonctions complémentaires : assurer la dramatisation en jouant sur le visible mais aussi déréaliser la séquence pour lui conférer une dimension fantasmatique.

Comme l’Alien dans la scène du Chestburster, Ripley se donne d’abord naissance à elle-même en s’expulsant du vaisseau contrôlé par Mother et en le détruisant, tuant ainsi la mère castratrice. Dans un deuxième temps, elle éjecte la créature de la navette refusant, dans une nouvelle scène d’accouchement symbolique (le fil du harpon au bout duquel la créature reste attachée faisant office de cordon ombilical), cet enfant qu’elle n’a jamais voulu. Tuant le monstre qui représente ses peurs, elle affirme sa volonté d’être une femme autonome refusant à la fois le statut d’objet sexuel ou de mère castratrice. Toute la suite de la saga explorera ce devenir maternel de Ripley.