Présentation

Venu prévenir un ministre égyptien de la menace que fait peser sur le gouvernement le complot armé des aigles de Khéops, OSS 117 est invité à partager le narguilé. Echauffé par la « chicha » Hubert se lance sans retenue dans une diatribe raciste et colonialiste. Le propos de la séquence est de tourner en ridicule les préjugés colonialistes d’OSS 117 par des procédés de mise à distance :
– le décalage comique : caractère inapproprié des propos et du comportement d’Hubert
– le choix du point de vue : de la complicité au rejet.



Un cadre harmonieux

Le premier plan de la séquence installe avec élégance l’accueil convivial réservé par le ministre à son invité. La dynamique du plan s’organise autour du partage du narguilé souligné par un discret travelling d’accompagnement : il part du serviteur, passe par le ministre avant d’être donné en gage d’hospitalité à OSS 117. Le recadrage final met en scène les deux personnages en plan de demi-ensemble symétrique et harmonieux, soulignant formellement le cadre courtois de ce début de conversation dans lequel OSS 117 prononce avec courtoisie quelques mots d’arabe.
Le thème de la modernisation de l’Egypte, qui prendra un tour polémique, est introduit dès ce premier plan :
– Le serviteur en tenue traditionnelle égyptienne présente le narguilé avec un lustre en cristal en arrière-plan.
– Le ministre porte un costume occidental au sein dans un décor egyptien.
Cet espace harmonieux exprime donc en introduction le mariage réussi de la culture égyptienne et occidentale.



Fautes de goût

Après avoir tiré goulûment sur le narguilé, OSS 117 visiblement désinhibé par la drogue, se laisse aller à des propos sexistes sur la princesse Al Tarouk devant le ministre atterré. Le comique repose ici sur la dimension burlesque de l’attitude déplacée d’OSS 117 :
– ton familier avec le ministre : « mon vieux »,
– vocabulaire sexiste et argotique : « elle gueule », « poissonnière de Menilmontant »,
– mimiques clownesques: rires gras, ponctuations expressives des sourcils.
Dans un retournement carnavalesque réjouissant, OSS 117 transforme une rencontre protocolaire en conversation entre « potes de beuverie ». La bêtise du personnage se heurte au silence réprobateur et au regard sévère du ministre qui décontenance OSS 117.



Stéréotypes racistes

Après un moment d’hésitation, OSS 117 se lance dans une diatribe condescendante sur l’arriération de l’Egypte et la supériorité occidentale :
– Mépris pour les usages du pays : « djellabas », « écriture illisible », « faut arrêter les gars ! »
– Paternalisme : « On est en 1955, il s’agirait de grandir »
– Propos insultants : « C’est le bazar ».
– Extrapolations abusives et dénigrantes : « rien qu’au niveau du poulet, c’est un bordel ! »
Afin de garantir une lecture au second degré de ces propos colonialistes, Jean Dujardin multiplie les attitudes indiquant la déconnexion du personnage : regards et intonations de connivence se heurtent au regard outré du ministre tandis que la succion pensive de la chicha souligne la perte d’inhibitions du personnage.



Une mise en scène de la distance

Au début de la diatribe, le réalisateur opère un changement d’axe des champs-contrechamps introduit par un travelling latéral dans le dos du ministre. Désormais OSS 117 est à gauche et le ministre à droite. Au partage équilibré des plans succède alors uniquement :
– Des gros plans sur le regard réprobateur du ministre.
– Des plans rapprochés sur OSS 117 avec la présence massive du ministre bordant le cadre en amorce.
Dans la deuxième partie de la séquence, la mise en scène est donc organisée du seul point de vue désapprobateur du ministre afin de solliciter la lecture critique du discours naïvement colonialiste d’OSS 117.


Éjection du malotru

Excédé par OSS 117, le ministre ordonne son expulsion manu militari, dont l’efficacité est soulignée par une ellipse. L’incompréhension d’OSS 117 est explicitement indiquée par le dialogue et la réplique finale le disqualifie comme un personnage grossier et puéril tandis que le volet le repousse du plan pour introduire la séquence suivante.

Question d’interprétation

La mise en scène de cette séquence qui a vocation à tourner en dérision le personnage d’OSS 117 multiplie les précautions afin de « sécuriser » la bonne lecture des stéréotypes racistes sur le mode de la dénonciation comique. Si le même dialogue était prononcé devant un verre de whisky sous le regard complice du collègue d’ambassade d’OSS 117, la séquence prendrait une signification très directement colonialiste.
Ces précautions apparaissent d’autant plus nécessaires que le réalisateur n’est pas maître de la réception de son film, et qu’une lecture au premier degré reste toujours possible :
– OSS 117 est, malgré ses gaffes, ou à cause d’elles, un personnage séduisant et drôle, qui finit toujours par gagner.
– Le personnage bénéficie de l’aura positive de l’acteur qui l’incarne.
– Le courtois ministre apparaît comme une figure très protocolaire tandis que Dujardin assume un ethos du « parler vrai ».
Dans cette perspective, il est possible d’interpréter OSS 117 comme figure sympathique de trublion venant déboulonner par sa sincérité décomplexée une figure d’autorité.