Ben-Hur de William Wyler (1959)
Le péplum Ben-Hur de William Wyler constitue un archétype de superproduction hollywoodienne, alliant séquences à grand spectacle et récit biblique édifiant.
Motifs de l’amitié virile
Les deux personnages sont conformes au modèle de représentation virile du héros hollywoodien : prestance physique, valeurs guerrières, sens du devoir. La mise en scène de leurs retrouvailles correspond à l’ethos héroïque du film d’aventures hollywoodien :
– Évocation émue de leurs expériences de jeunesse ponctuée par un long rire de connivence.
– Étreintes aussi sincères que retenues : ils se prennent longuement par le bras.
– Reconnaissance réciproque de leur excellence physique par l’épreuve du lancer de janvelot, ponctuée par une exclamation belliciste : « À bas Eros ! Vive Mars ! »
Un sous-texte homosexuel
Le caractère a priori très conventionnel de cette séquence est cependant enrichi par la manière dont la mise en scène manifeste l’attirance physique entre les deux personnage notamment par les longs regards de Masala à l’égard de Ben Hur. Cette composante a été introduite par l’écrivain Gore Vidal, qui souhaitait rendre plus complexe la relation trop monolithique entre les deux personnages. Le caractère allusif de cette évocation était contraint par le code de censure américain (Code Hays). La séquence illustre donc à la fois les conventions de la représentation virile dans le cinéma hollywoodien, et sa contestation indirecte par la thématique homosexuelle, rendue ici très sensible par le doublage en français.
Ressource complémentaire
The Celluloid Closet : Gore Vidal commmente Ben-Hur
OSS 117, Le Caire nid d’espions | Virilités parodiques
Hubert arrive à la société de poulet qui lui sert de couverture et replonge dans ses souvenirs en revoyant le nom de son ami Jack Jefferson, tué dans des circonstances mystérieuses.
Pastiche du flash-back
La mise en scène des séquences de plage en flash-back reprend en les pastichant deux conventions propres à cette figure vieillotte :
– Le fondu enchaîné commence sur l’attitude pensive d’Hubert et l’invocation mélancolique de son ami à partir d’un élément réminiscent : l’inscription sur la panneau.
– Le passé lointain est représenté dans une image surexposée aux teintes sépia, renvoyant à un passé lointain idéalisé. La séquence se clôt par un retour au présent et à la couleur, sur le visage souriant et ému d’Hubert.
Une satire des conventions viriles
Les rires interminables des deux personnages reprennent de manière manifestement surjouée l’échange complice entre Hubert et l’ambassadeur de France devant leurs verres de whiskey. Le topos du rire de connivence virile entre hommes partageant des expériences et des valeurs communes dans le cinéma des années 50, est ici représenté de manière parodique.
Cette parodie des conventions viriles s’appuie dans cette scène sur la mise en doute de l’hétérosexualité d’Hubert. Le comportement des deux personnages suggère en effet la dimension homosexuelle de leur relation : des corps nus, huilés, courant dans le sable d’une plage déserte ou unis dans un corps à corps suggestif. L’exercice du sport renvoie à une exaltation très stéréotypée du corps masculin dans ses démonstrations de force : un corps érotisé, musclé et séduisant. Ce corps glorieux est ridiculisé dans le film par le motif récurrent du jokari, un jeu de plage enfantin ridiculisant la puérilité de ces performances sportives.
L’homosexualité en question
Le sous-texte homosexuel renverse de manière comique l’image de virilité triomphante revendiquée par Hubert, d’autant plus que celui-ci oppose un déni aussi ferme que réactionnaire à cette accusation dans la scène du hammam : « un homme doit aller avec une femme, le reste… c’est de la perversion ou une maladie mentale ». On peut donc lire le procédé comme une satire des conventions de la représentation masculine par la mise en évidence de leur composante homosexuelle dans le cinéma des années 50. Mais la séquence peut aussi se lire comme la reconduction du thème de l’indignité homosexuelle tel qu’il parcourt le cinéma hollywoodien jusqu’aux années 60-70 : l’homosexualité n’y était représentée que de manière allusive ou explicitement exorcisée comme sujet de moquerie ou signe de déviance morale. En l’occurrence, Hubert est ici décrédibilisé par le soulignement de son attirance homosexuelle pour son ami, au sein d’un discours qui dénonce par ailleurs les relations viriles comme expression d’une homosexualité inassumée.
Une virilité de convention
La séquence évoquant le point de vue de Jack, devenu nazi, sur son amitié avec Hubert dénonce le caractère fallacieux de la vision idéalisée dont Hubert gardait le souvenir ému. Dans le souvenir rétrospectif de Jack, les jeux amicaux sont en effet associés à une expérience de vexations permanentes. Ce dernier flash-black ridiculise les représentations viriles d’Hubert comme lieux exercice d’une compétition puérile et sadique. Le regard d’Hazanavicius dénonce ici le caractère artificiel des représentation viriles mises en scène par le cinéma hollywoodien dans les années 50, qui ne reflètent pas une « nature » masculine mais en construisent le mythe aussi valorisant que fallacieux.