Thérapie de l’amour
Face à un Shell Junior languissamment allongé comme un patient en analyse, Sugar prend en charge la logistique de la séduction : champagne, lumière tamisée et musique douce. De manière comique, Shell Junior tient un double discours contradictoire afin de mener son stratagème : il indique à Sugar l’interrupteur et le bouton de la radio tout en affirmant la totale inutilité de sa tentative de guérison.
Le détournement des codes de séduction se poursuit avec les verres de champagne : auxiliaires de l’échange amoureux, ils deviennent ici une médication dont Shell avale seul les deux coupes avant que Sugar ne fasse un geste d’hypnose devant ses yeux. Située au dessus de Shell, Sugar assume la position du médecin face à un patient récalcitrant : la scène se termine sur l’ordre d’inhaler ponctué par un baiser fougueux.
On pourra noter le petit doigt levé de Joe/Shell Junior en buvant le champagne, qui peut s’interpréter comme une manifestation loufoque de sa prétendue bonne éducation (ce geste ne convient que pour le thé dans certains milieux) ou comme une allusion ludique au frémissement de sa virilité diminuée.
Fonctions du montage parallèle
Le montage parallèle consiste à monter en alternance deux actions distinctes à des fins de comparaison. Billy Wilder assure la transition entre les deux scènes par des panoramiques filés qui créent un effet de concomitance (nous « voyageons » d’un lieu à l’autre).
Trois fonctions peuvent être données à ce montage :
– Mettre en valeur la montée parallèle du désir au sein des deux couples inversés.
– Conférer à la séquence un rythme dynamique reposant sur un jeu de contrastes comiques : étreinte sensuelle / danse burlesque, musique languissante / scansion du tango.
– Contourner le code Hays limitant les baisers à trois secondes par des interruptions régulières.
Le code de censure constitua, à partir des années 30, un véritable défi à la créativité des cinéastes pour évoquer notamment la sexualité. On remarquera à cet égard la jambe désormais levée de Joe, évoquant implicitement la montée de son excitation.
Tango passion
Le tango se révèle un véritable catalyseur du désir entre Osgood et Daphné. Cette danse très codifiée met en scène le brouillage burlesque des rôles sexués au cours de la séquence. Trois scènes scandent la passion qui s’empare progressivement des personnages :
– 1er temps : Jerry, peu concerné par cette soirée obligée, prend le rôle masculin en « menant la danse », en contradiction avec son travestissement.
– 2ème temps : l’échange de la fleur entre les dents manifeste une forte implication des deux partenaires et une première disqualification des rôles sexués.
– 3ème temps : les deux danseurs passionnés sont désormais seuls sur la piste, pris dans un mouvement carnavalesque de brouillage des rôles. Le plan sur les yeux bandés de l’orchestre constitue à cet égard une hyperbole à valeur comique suggérant l’indécence subversive de ce bouleversement des codes.