Imitation et caricature
Le plan d’attaque met en place sur le mode burlesque la difficulté physique d’incarner une femme : la musique de jazz syncopée accompagne ironiquement la démarche boitillante des deux musiciens en talons haut. Prendre l’apparence d’une femme, c’est en incorporer de manière crédible les vêtements, les accessoires et la gestuelle.
Le réalisateur met en évidence le contraste entre Joe et Jerry :
– Vêtements : Joe est habillé de manière relativement sobre (robe noir et collerette de fourrure blanche) tandis que Jerry arbore une fourre léopard et des plumes à son chapeau.
– Comportements : Joe se tient droit, oscillant légèrement des épaules, et affichant un visage impassible associée à une petite moue : il propose une véritable imitation de la gestuelle féminine, basée sur quelques stéréotypes. Jerry se tient vers l’avant, la démarche raide et contrainte et le visage contracté : sa raideur le désigne comme un homme déguisé. Observant ensuite le maintien de Joe, Jerry s’essaye de manière comique à adopter son expression dégagée : il imite maladroitement une imitation !
La mécanique des femmes
Jerry subit l’inconfort des accessoires féminins, du déséquilibre des talons à l’air circulant sous la robe : la perte de sa chaussure et une suite de récriminations grimaçantes témoignent comiquement de la difficulté de l’exercice. Ce dialogue prépare l’arrivée de Marilyn Monroe en îcone de la séduction féminine.
Marilyn et les garçons
Marilyn refait le trajet des deux personnages en modèle indépassable de séduction marquant toute la distance entre une gestuelle féminine pleinement incarnée et l’honnête imitation proposée par Joe dans les plans précédents. La trompette bouchée souligne la sensualité qui émane de sa démarche.
Articulée sur le regard des deux hommes, la caméra cadre son déhanchement qui suscite deux réactions distinctes :
– Jerry commente avec admiration la perfection technique de sa démarche à l’aune de ses déboires précédents.
– Joe, littéralement subjugué par les fesses de Marilyn, demeure silencieux.
Wilder emprunte des procédés de cartoon pour souligner le désir suscité par Marylin : la stupeur fascinée des deux personnages mais aussi le jet de vapeur de la locomotive comme expression burlesque de la pression érotique (variation de Wilder sur la séquence de la bouche de métro dans 7 Ans de réflexion).
Jerry, désespéré devant la perfection technique inatteignable de Marylin, en conclut à l’impossibilité du travestissement : « C’est un sexe totalement différent ! ». Joe le rappelle alors de manière comique à la différence entre rôle sexué et identité biologique dans une réplique définitive : » Personne ne te demande d’avoir un bébé ».
Passer la censure
Joe et Jerry retrouvent Bienstock et Sweet Sue devant la portière du wagon afin de se faire reconnaître, ce qui donne lieu à des répliques à doubles sens pleines d’esprits :
– Nous sommes les nouvelles filles, dit Joe.
– Oui, vraiment nouvelles !, ponctue ironiquement Jerry.
Bienstock, le chaperon myope, conclue devant le refus de Jerry de se faire tapoter les fesses : « Ce sont de vrais dames ! » Ce personnage aux lunettes à double foyer, qui ne voit jamais les infractions au règlement, peut être interprété comme référence moqueuse à la censure qui s’exerce sur le cinéma aux Etats-Unis de 1930 à la fin des années 50. Le code Hays, très tatillon sur la moralité, a été un véritable aiguillon pour l’imagination des réalisateurs afin d’évoquer les sujets sexuels de manière détournée (la scène de séduction sur le yacht, avec ses baisers de 5 secondes maximum en est un bon exemple).
Les inconvénients d’être une femme
Bienstock s’autorise une petite tape sur les fesses de Daphné/Jerry en se prévalant de la légèreté de mœurs des musiciennes de groupes. La réaction outrée de Jerry sera comprise comme une marque de distinction alors qu’elle n’est que la réaction outrée d’un homme. Ce n’est que la première occurrence de toute une série de comportements machistes déclinés au cours du film (Osgood, le groom) que devra subir Jerry, faisant l’expérience parfois douloureuse des rapports genrés au cour du film.