Présentation
De la toute fin de la période muette jusqu’à la fin des années 1950, le classicisme hollywoodien impose une norme narrative autant qu’un mode de production spécifique. Hollywood devient ainsi « l’usine à rêves », basée sur la division des tâches, la structuration des films en genres, et la mise en oeuvre du « star system ».
L’usine à rêves
Alors que les avant-gardes européennes et russes se sont développées en affichant ouvertement la singularité de leurs procédures formelles, le cinéma hollywoodien revendique au contraire une mise en scène « transparente » qui se veut invisible, afin que n’importe quel spectateur puisse comprendre et apprécier n’importe quel film, sans fournir d’effort et sans disposer de compétences particulières. Pour l’essentiel, le classicisme hollywoodien va alors s’appuyer sur la vraisemblance psychologique et sur la logique narrative. Tout est mis en œuvre pour créer l’illusion d’une réalité continue et parfaitement homogène – alors qu’un film est composé en fait d’une multiplicité de fragments très brefs, tournés en des lieux et à des moments différents. La construction dramatique veille également à hiérarchiser les scènes de tension et les moments de détente, dans le but de relancer constamment l’intérêt du public. On s’assure également d’une stricte relation de cause à effet entre les actions et les différents évènements. Ce qui implique que les cinéastes doivent respecter certaines règles techniques (comme les entrées et les sorties de champ par exemple) et appliquer certaines conventions de découpage, comme l’insertion de gros plans d’objets ou surtout de visages, qui visent à favoriser la projection du spectateur dans l’intrigue et à provoquer l’identification au personnage principal.
Même si ces différents cadres peuvent paraître assez rigides, les plus grands cinéastes sont ceux qui ont su les utiliser tout en développant un point de vue personnel sur le monde et sur le cinéma, à la manière de « contrebandiers » agissant depuis l’intérieur même du système. Comme John Ford par exemple, qui aimait se présenter comme un simple « réalisateur de westerns » alors que beaucoup de ses films dénoncent le racisme et la misère tout en exaltant l’esprit pionnier. Ou encore Billy Wilder, qui se défendait bien de faire de l’art ou d’avoir quelque chose à dire, ce qui ne l’empêchait pas de développer une vision particulièrement satirique de son pays d’adoption (dans ses fameuses comédies notamment).
À Hollywood sans doute plus qu’ailleurs, la créativité naît de la contrainte et de très nombreux grands auteurs ont eu le talent de s’épanouir à l’aune des studios et de leurs innombrables têtes d’affiches.
Stars à la barre
Initié dès les années 1910, le star system atteint son apogée durant la décennie 1930. Tous les grands studios disposent d’un panel de vedettes sous contrat qui font briller leur image de marque. Chaque star possède un registre particulier : Errol Flynn incarne l’éternel aventurier et Gary Cooper conserve l’image de « l’homme de l’ouest » même lorsqu’il ne tourne pas dans des westerns.
Du côté des femmes, les deux plus grandes stars des années 30 sont Marlene Dietrich et Greta Garbo. Leurs carrières reposent sur la fidélité à un réalisateur-pygmalion : Joseph Von Sternberg pour Dietrich et Clarence Brown pour Garbo. Entre 1931 et 1936, chaque succès de Dietrich à la Paramount, comme La Femme et le pantin, répond un grand film du même genre de Garbo, comme Romance à la Metro Goldwin Mayer.
Les grandes compagnies « façonnent » leurs vedettes notamment grâce à des techniques d’éclairages sophistiqués, comme le soft focus de la MGM, qui joue sur les blancs et les gris perle sans zone d’ombre, avec beaucoup de clarté et de douceur, pour que la star apparaisse constamment sous son meilleur jour, quels que soient le scénario ou l’atmosphère. L’essor du glamour hollywoodien doit donc autant à l’ingéniosité des chef-opérateurs qu’à l’industrie des cosmétiques.
Intrigues en tout genres
Tout comme les stars se cantonnent souvent à un type de rôle particulier, les grands studios ont eux-mêmes tendance à se spécialiser dans quelques genres de films bien définis. Pendant très longtemps, la Columbia est restée très étroitement associée aux fables sociales signées Frank Capra, comme New York Miami (1934), L’Extravagant Monsieur Deeds (1936) ou Monsieur Smith au Sénat (1939), qui ont connu un immense succès.
À l’autre extrémité du catalogue hollywoodien, la Universal marque les années 30 grâce à une importante série de films fantastiques : le Frankenstein (1931) de James Whale, le Dracula (1931) de Tod Browning ou La Momie (1932) de Karl Freund s’installent durablement dans les salles et font trembler les spectateurs. La Paramount fait de la comédie légère sa marque de fabrique, comme Haute Pègre d’Ernst Lubitch, principal fondateur du genre, qui eut une grande influence sur le studio.
De son côté, la Twenty Century Fox assoit son image prestigieuse avec des biographies filmées et des comédies musicales en exploitant la plastique remarquable de ses stars maisons, comme Jane Russell et Marilyn Monroe dans Les Hommes préfèrent les blondes (1953) d’Howard Hawks. Plus modeste au départ, la Warner Bros se spécialise dans le film de gangsters, enchaînant les succès avec des titres comme L’Ennemi public (1931) de William Wellman, Les Fantastiques Années Vingt (1939) de Raoul Walsh ou Le Faucon Maltais (1941) de John Huston.
Quant à la Metro Goldwyn Mayer, elle a été la compagnie de tous les superlatifs : le plus gros budget et le plus grand nombre de superstars sous contrat dont Greta Garbo surnommée « La Divine » et Clark Gable appelé « The King». C’est dans le domaine de la comédie musicale à grand spectacle que la MGM triomphe. Entre 1939 et 1960, le studio produit une quarantaine de films aux brillantes chorégraphies interprétées par Gene Kelly, Fred Astaire ou Ginger Rogers comme Chantons sous la pluie (1952), Le Pirate (1948), Yolanda et le voleur (1945) ou encore l’inusable Tous en scène (1953).
Le développement des genres et la propension naturelle de chaque grand studio à se spécialiser dans un domaine ont permis de diversifier la production, mais ils ont aussi favorisé le ciblage du public. Pour « l’usine à rêves », le cinéma est bien entendu un art mais il est aussi (et surtout) une industrie hier comme aujourd’hui.