Présentation

A l’issue de la Seconde guerre mondiale, des réalisateurs visionnaires investissent les rues de l’Italie en ruine pour jeter les bases du cinéma néoraliste. Il tournent dans l’urgence avec peu de moyens avec pour objectifs d’évoquer les problèmes du temps présents: les cicatrices de la guerre, le chômage qui accable la classe ouvrière ou encore le désespoir engendré par la pauvreté.


Capter la réalité sociale

À la Libération, le courant néoréaliste impulse une véritable révolution esthétique qui opère une rupture totale avec les films dits « de téléphones blancs », typiques de la période fasciste, dans lesquels le combiné téléphonique immaculé des salons bourgeois était invariablement utilisé pour résoudre tous les conflits, comme par enchantement. Signe de l’opulence de la classe dirigeante, ces « téléphones blancs » salvateurs servaient surtout la propagande mussolinienne. Les artisans du Néoréalisme, eux, rebranchent le cinéma italien sur la ligne de la réalité sociale et se placent résolument aux antipodes de ces « fictions téléphonées » d’avant-guerre.

Rossellini rend hommage à la Résistance italienne dès Rome, ville ouverte en 1945, premier volet d’une « trilogie de la guerre » désormais emblématique. L’année suivante, il réalise Paisà (1946), qui retrace les principales étapes de la libération du pays, de la Sicile au delta du Pô, par les troupes alliées et les partisans. À travers Allemagne année zéro (1948), Rossellini se déplace à Berlin et concilie le constat socio-économique avec l’analyse émouvante du mal dans une âme d’enfant. Il en résulte un film admirable et bouleversant, où l’amour de l’homme se heurte à l’horreur du monde.

De son côté, Vittorio De Sica brosse un émouvant constat de la misère enfantine dans Sciuscia (1946), où deux petits cireurs de chaussures basculent dans la délinquance pour réaliser leur rêve (acheter un cheval blanc) et se retrouvent incarcérés dans une prison pour mineurs. Deux ans plus tard, De Sica émeut le monde entier avec un père chômeur et son jeune fils dans Le Voleur de bicyclette (1948), qui est resté à ce jour le film le plus populaire du courant néoréaliste. Au début des années cinquante, alors que le mouvement s’éteint en tant « qu’école historique », De Sica y ajoute une pièce maîtresse avec Umberto D (1951), qui dresse le portrait poignant d’un petit fonctionnaire à la retraite, peinant à survivre jusqu’à être tenté par le suicide.


Un regard sur l’Italie

Qu’elles soient urbaines ou rurales, les fictions néoréalistes sont portées par un geste documentaire particulièrement affirmé, où il s’agit avant tout d’embrasser le territoire italien dans son extension maximum, et de montrer comment tout un peuple peut devenir le protagoniste d’un grand récit national global. Pour La Terre tremble (1948), Luchino Visconti tourne pendant sept mois dans un village de pêcheurs siciliens, avec des acteurs non professionnels recrutés sur place, s’exprimant dans leur dialecte local. Un avertissement liminaire précise d’ailleurs qu’en Sicile, « la langue italienne n’est pas la langue des pauvres ».

Dans Riz Amer (1949), Giuseppe De Santis pose sa caméra dans les rizières de la plaine du Pô et dénonce la difficile condition des travailleuses saisonnières. À la fois influencé par le cinéma soviétique et par les films hollywoodiens, De Santis a financé son premier long métrage, Chasse Tragique (1946), grâce aux coopératives agricoles de la région de Ravenne, où se déroule l’intrigue.

De manière récurrente, le néoréalisme favorise les retrouvailles du cinéma avec le monde de la terre et avec les zones les plus oubliées de l’Italie. Un souci que partage également Federico Fellini quand il filme le désœuvrement et les fêtes tristes d’une petite station balnéaire paumée dans Les Vitelloni (1953), ou bien lorsqu’il s’attarde sur le sous-prolétariat fantomatique qui peuple les paysages misérables traversés par Zampano et Gelsomina dans La Strada (1954).


Une esthétique du réel

Le néoréalisme dépouille le cinéma de ses lourdeurs conventionnelles et développe une esthétique du réel qui alimente des intrigues à vocation vériste. La restriction des moyens techniques et financiers implique par ailleurs une mise en scène simple et les cadrages sont souvent proches des actualités filmées de l’époque. Pour Rome ville ouverte, le manque de pellicule oblige Rossellini à ne faire qu’une seule prise par plan, ce qui procure au film un style direct qui mise tout sur l’intensité et l’efficacité. Dans Paisà, l’ambition du projet pousse le cinéaste à s’éloigner du découpage classique au profit de longs plans séquences, reliant les individus à un espace et à une histoire qui les englobent et les dépassent. Au lieu de morceler le récit, Rossellini restitue l’unité des événements dans leur fluidité vivante et dynamique, établissant un accord parfait entre le fond et la forme.

Le recours fréquent à des acteurs amateurs, qui donnent parfois la réplique aux têtes d’affiche du moment, participe de cette même capacité à transformer une difficulté en un atout. Le Voleur de bicyclette aurait-il eu un impact aussi fort si De Sica n’avait pas confié le rôle-titre à un véritable ouvrier ? On peut également considérer que la force d’Umberto D tient pour une bonne part au fait que le rôle de l’enseignant à la retraite soit interprété par un authentique professeur.

Cesare Zavattini, le scénariste attitré de Vittorio De Sica, résumait la démarche néoréaliste par cette formule : « Il ne s’agit pas d’inventer une histoire qui ressemble à la réalité, mais de raconter la réalité comme si elle était une histoire ». Cette salutaire reconnexion avec le monde opérée par le néoréalisme a influencé l’ensemble du cinéma mondial, en réveillant les veines réalistes et sociales partout où elles avaient été mises en sommeil.