Présentation
À la fin des années 1950, une jeune génération de cinéaste renouvelle le cinéma français principalement composée de critiques influents issus de la revue Les Cahiers du cinéma qui passent derrière la caméra : Jean-Luc Godard, François Truffaut, Claude Chabrol ou Éric Rohmer. Ces réalisateurs sont réunis une démarche commune : filmer en décors réels des récits en prise avec l’époque, remplacer les dialogues littéraires par un langage réaliste et privilégier l’invention formelle en refusant les conventions cinématographiques.
Filmer dans la rue
Filmer autre chose et autrement, cela consiste d’abord à aller voir ailleurs et à plonger la fiction dans l’air du temps. Alors que la majorité des films de la Qualité Française sont tournés intégralement en studio (ou presque), la Nouvelle Vague va privilégier les décors réels. On tourne désormais dans la rue, avec de petites caméra 16mm qui étaient jusque-là utilisées pour les reportages télévisés ou les documentaires. Les pellicules récentes de grande sensibilité permettent de filmer avec la seule lumière du jour, sans éclairage additionnel, ce qui laisse une plus grande souplesse à l’opérateur. Cet allègement technique procure aux films une vitalité inédite, qui va vite devenir la marque de fabrique de la Nouvelle Vague. À bout de souffle de Jean-Luc Godard est aujourd’hui inséparable des plans de Jean Seberg arpentant les Champs-Élysées pour vendre ses journaux. Et dès qu’on évoque Les Quatre Cents Coups de François Truffaut, on pense immédiatement au jeune Antoine Doinel en train de faire l’école buissonnière dans les rues de Paris. La ville est presque un personnage du film, qui abrite l’adolescent fugueur, le cache et le protège.
De manière frappante, les premiers films emblématiques de la Nouvelle Vague s’approprient l’espace urbain, notamment le Paris contemporain. Ce qui est sensible dès la première réalisation de Godard, un court métrage de 1957 intitulé Charlotte et Véronique (ou Tous les garçons s’appellent Patrick), dont l’intrigue est une sorte d’exercice de style sur le marivaudage étudiant, qui étonne par son allégresse, sa décontraction et sa drôlerie, tant au niveau du jeu des acteurs, de l’écriture des dialogues que de la mise en scène très enlevée, aux antipodes de toutes les lourdeurs d’un cinéma de studio.
L’urbanité n’est pas exclusive, loin de là. Certains réalisateurs en herbe préfèrent largement la campagne, comme Claude Chabrol, qui tourne Le Beau Serge en 1958 dans la Creuse, dans le village où il a passé son enfance durant la Seconde Guerre mondiale. Ou bien encore Agnès Varda, qui réalise La Pointe-Courte dans un quartier de pêcheurs de Sète pendant l’été 1954, en adoptant un parti-pris aussi pionnier que novateur, où le scénario écrit se nourrit d’une approche documentaire, un peu à la manière d’un « nouveau Néoréalisme », mais en plus radical. Ce souci du monde réel est d’ailleurs commun à la plupart des réalisateurs de la Nouvelle Vague. Si les références des anciens critiques des Cahiers du cinéma sont souvent hollywoodiennes, tous vont tourner dans la rue comme Roberto Rossellini l’a fait en Italie à la Libération, avec peu de budget mais avec beaucoup d’idées.
Parler comme dans la vie
Dans les films de la Nouvelle Vague, on ne parle plus comme dans les livres mais on s’exprime comme dans la vie. Le règne des dialoguistes littéraires est passé de mode. Les jeunes cinéastes appliquent la « politique des auteurs » et écrivent très souvent leurs scénarios eux-mêmes, en plongeant leurs personnages dans un bain de jouvence langagier parfois décapant, comme dans Le Mépris, où Godard demande à Brigitte Bardot de s’adresser à son mari Michel Piccoli en énumérant lentement toute une série de grossièretés. D’une manière générale, les dialogues sont beaucoup plus réalistes qu’auparavant et accordent une large place à la conversation courante. À bout de souffle exploite abondamment l’aisance verbale de Jean-Paul Belmondo, tout aussi bien que la maladresse charmante de l’accent américain de Jean Seberg. Le film intègre également le français parlé de son époque, l’argot d’un certain milieu, mais aussi les aphorismes, les pseudo-maximes et autres jeux de mots potaches dont raffole le protagoniste. Cette invasion de la langue quotidienne caractérise également Les Quatre Cents Coups, où Truffaut fait fructifier la gouaille et les improvisations de son très jeune interprète Jean-Pierre Léaud, dont la spontanéité totale crève l’écran et emporte l’adhésion du public.
La Nouvelle Vague fait donc entendre une autre voix, y compris lorsque la source du scénario est de nature ouvertement littéraire. Pour Hiroshima mon amour, Alain Resnais s’empare de la musique si particulière du texte de Marguerite Duras, puis il poursuit dans la même veine moderniste avec L’Année dernière à Marienbad, en adaptant Alain Robbe-Grillet, le chef de file du Nouveau Roman.
Libérer la mise en scène
Les cinéastes de la Nouvelle Vague se démarquent également de leurs aînés par la grande liberté qu’ils prennent avec les règles établies du langage cinématographique. Les innovations formelles sont aussi nombreuses que variées. Dans À bout de souffle, Godard développe un style de montage syncopé qui accentue les raccords au lieu de les dissimuler. Dans Une femme mariée, il fragmente le corps des acteurs presque jusqu’à l’abstraction, en une composition d’inspiration cubiste qui exprime le morcellement des affects. Dans Hiroshima mon amour, Resnais bouleverse les lois de la narration et de la temporalité classiques pour figurer le flux de conscience du personnage d’Emmanuelle Riva, déchirée entre la mémoire et l’oubli. Tandis que dans Cléo de 5 à 7, Agnès Varda opte pour un récit en temps réel afin de décrire avec précision l’angoisse d’une jeune femme qui vient d’apprendre qu’elle est peut-être atteinte d’un cancer. De son côté, Truffaut multiplie les effets visuels dans Jules et Jim, comme les zooms rapides, les recadrages sur fond noir ou les mentions écrites sur l’image, dans le but de manifester à l’écran les lézardes d’un ménage à trois impossible et voué à une issue fatale.
Comme en témoignent tous ces films devenus cultes, les cinéastes de la Nouvelle Vague s’accomplissent dans la recherche d’une expression personnelle, alors que la génération précédente se souciait d’abord de perfection professionnelle.