Présentation

Cette courte capsule vidéo évoque les grandes étapes de l’histoire du western : évolution esthétique et politique du genre à partir de quelques films marquants.

Sur la piste du western

Depuis que le cinéma existe, on tourne des westerns. Ou presque. Si le genre est aujourd’hui plongé dans un demi-sommeil, son rayonnement a été l’un des plus vifs et des plus créatifs pendant de nombreuses décennies. Pour plusieurs générations de spectateurs, le simple mot « western » convoque instantanément toute une série d’images emblématiques et de situations-type : duel au revolver dans la grande rue de la ville, attaque de diligence à bride-abattue, chevauchée dans les plaines immenses sous un ciel sans limite, guerres indiennes sans merci, vol de bétail, flèche brisée et calumet de la paix, cowboy solitaire contre gang de mercenaires… La liste serait longue si elle devait être exhaustive, tant le western a été un immense recueil iconographique, qui a alimenté l’imaginaire de la planète entière. Tous les enfants du vingtième siècle ont un jour joué aux cowboys et aux indiens dans les cours de récréation. C’est dire toute l’importance et tout l’impact que le genre a pu avoir sur le public.

affiche Vol du grand rapide

Les origines du western

Dès son origine, le western fait sensation. Dans Le Vol du grand rapide en 1903 – que les historiens considèrent comme le tout premier western américain –, les spectateurs sont effrayés par la scène d’attaque du train, et surtout par le plan de l’un des brigands qui tire face à la caméra. On raconte que le public baissait la tête par réflexe de défense. Fiction ou réalité, peu importe. La légende de l’Ouest était née, et promise à une longévité sans égale.

Pendant toute la période muette, le western est un divertissement populaire très prisé. Pour les américains, le genre tient lieu de « texte fondateur », qui raconte la construction et l’unification de la nation, autant qu’il témoigne du rapport ambivalent que le pays entretient avec sa propre histoire, entre volonté d’objectivité, réécriture romancée et manœuvre de légitimation (sur la question de l’annexion des terres indiennes et de l’extermination méthodique de ses occupants notamment). Dans les années 1920, les studios hollywoodiens distribuent près de deux mille westerns. Mais le genre est surtout cantonné aux petites productions de facture assez simple, avant d’être relancé avec encore plus de succès dans les années 1930, au moment où le cinéma est devenu parlant.

affiche Chevauchée fantastique

John Ford, le maître du genre

John Ford, qui allait devenir le maître incontesté du genre, acquiert malgré tout une très grande notoriété dès 1924, avec Le Cheval de fer, un ambitieux western retraçant la lutte de deux compagnies pour la construction d’une ligne ferroviaire transcontinentale. Dans ce film précurseur doté de moyens impressionnants pour l’époque, le cinéaste s’empare d’une page de l’Histoire américaine en combinant efficacement le registre épique et la dimension documentaire. Déjà, John Ford laisse poindre dans ce film son amour des petites communautés provinciales et fait montre d’une générosité humaine qui le pousse à prendre le parti des déclassés, des exclus ou des marginaux. Une inclinaison qui ne fera que s’accentuer avec le temps, comme en témoigne de manière exemplaire La Chevauchée fantastique en 1939, où un périple en diligence réunit un joueur professionnel, un médecin alcoolique, une prostituée bannie par la bonne société, un banquier escroc et un hors-la-loi tout juste évadé de prison. La Chevauchée fantastique marque un tournant décisif dans l’histoire du western. Le film remporte un succès immense et immédiat. Et surtout, Il impose un visage et un paysage qui appartiennent désormais à la pure imagerie du genre. Le visage, c’est celui de John Wayne, le plus célèbre des cowboys ; le paysage, c’est le site de Monument Valley, le plus emblématique des décors naturels de l’Ouest américain, dans lequel John Ford a tourné sept de ses principaux films.

affiche Les Affameurs

Les années 50 : trouble dans le genre

Durant les années 1950, le western est devenu un genre incontournable. Le grand critique français André Bazin écrira que le western, « c’est le cinéma américain par excellence », dans la mesure où il allie l’action, la contemplation et la réflexion comme aucun autre genre ne l’a fait. Il présente également un équilibre parfait entre les mythes sociaux, l’évocation historique et la vérité psychologique.
Face aux incertitudes politiques de l’après Seconde Guerre mondiale, le western se fait également beaucoup plus sombre. Les films réalisés par Anthony Mann s’appuient souvent sur des protagonistes tourmentés, au passé trouble, beaucoup plus ambigus que les archétypes universels du passé. C’est le cas de James Stewart dans Les Affameurs en 1952, et de Gary Cooper dans L’Homme de l’Ouest en 1958. Les deux acteurs interprètent des personnages complexes, en quête de rachat et de reconnaissance personnelle. Peu à peu, le western devient le miroir privilégié dans lequel se reflètent toutes les craintes et tous les conflits qui secouent la société américaine, comme le racisme, la censure, le maccarthysme, la Guerre de Corée puis celle du Vietnam. Dès lors, le genre permet un décodage indirect de l’actualité et des difficultés du présent.

affiche Soldat bleu

Les années 60 : le tournant politique

Avec la génération de la contre-culture, les années 1960 seront celles de la mutation et des contre-propositions. On parle alors de « post-western », dans la mesure où les jeunes cinéastes du Nouvel Hollywood s’attachent à subvertir les codes du western traditionnel. Citons par exemple The Shooting, réalisé en 1967 par Monte Hellman, qui reprend le principe classique de la poursuite tout en éliminant chaque péripétie attendue, à un tel point que le film ressemble à une sorte d’errance métaphysique. Dans le même ordre d’idée, le motif du duel final (le « shooting » du titre) subit une distorsion moderniste qui en renverse les modalités autant que le sens : la fin révèle en effet que le poursuivant et le poursuivi ne sont en fait qu’une seule et même personne. Par ailleurs, le ralenti et l’image gelée sur l’acteur Warren Oates reprennent le dispositif visuel du direct télévisé du 24 novembre 1963, qui a diffusé l’assassinat de Lee Harvey Oswald par Jack Ruby. Bien que l’intrigue de The Shooting se déroule au dix-neuvième siècle, le film évoque bel et bien le présent des années 1960, décennie de désordre et de confusion, où la jeunesse appelle à la rébellion. Il n’est donc plus possible de tourner des westerns comme avant, dans un registre épique et salvateur. Au contraire, l’heure est à la révision des mythes nationaux et à la dénonciation de la violence originelle, comme dans Soldat Bleu de Ralph Nelson, qui reconstitue le massacre de Sand Creek en 1864 par neuf cents hommes de la Cavalerie du Colorado. Le film montre des enfants indiens mutilés, des femmes torturées et des soldats se comportant comme de véritables barbares. Soldat bleu est une virulente condamnation de l’extermination indienne, tout autant qu’une parabole de la Guerre du Vietnam, qui évoque de manière explicite le massacre de Mỹ Lai commis par l’armée de terre américaine le 16 mars 1968.
La fin des années 60 est marquée par une série de westerns dits « pro-indiens », qui adoptent le point de vue des tribus autochtones décimées, comme dans Little Big Man d’Arthur Penn, où l’accent est porté sur les spécificités des cultures indiennes et sur la dimension identitaire.

affiche Le Bon, La Brute et le Truand

Le Western italien

Le genre trouve néanmoins un nouveau souffle épique, mais hors de son berceau d’origine. En Italie précisément, où Sergio Leone devient très rapidement la figure majeure de ce que l’on appelle alors le « western spaghetti ». Dans le western italien, il ne s’agit plus tant d’illustrer l’Histoire de l’Amérique que de traiter du western en tant que tel. Le genre entre dans une phase maniériste et constitue en lui-même le sujet de films comme Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus, ou encore Le Bon, la brute et le truand, troisième volet de la trilogie. Dans de longues scènes d’attente privées de dialogues et désormais cultes, Sergio Leone revisite les codes du western classique en les amplifiant à l’extrême, dans une mise en scène opératique où le style du cinéaste impressionne par sa virtuosité. Le cinéma italien – et celui de Sergio Leone en particulier – a joué un rôle capital dans le développement et la diffusion de la mythologie du western, qui passionne alors une nouvelle génération de spectateurs

affiche Danse avec les loups

Le crépuscule du genre

Mais passée la première moitié de la décennie 1970, le genre connaît une phase d’essoufflement puis une quasi-extinction. Un seul chiffre permet d’en témoigner : en vingt ans, on tourne à Hollywood moins de westerns que durant la seule année 1950, qui marque l’apogée du genre. On observe tout de même quelques résurrections ponctuelles et significatives, comme Danse avec les loups de Kevin Costner en 1990, un film-fleuve et poignant dans lequel un héros de la Guerre de Sécession fraternise avec des Amérindiens jusqu’à devenir l’un des leurs. Ou encore Impitoyable en 1992, où l’acteur et cinéaste Clint Eastwood interroge les fondements de la violence et l’obsession de la vengeance. Tandis que dans Dead Man en 1995, le newyorkais Jim Jarmusch compose un western halluciné et spectral, qui adopte la forme d’un récit initiatique et poétique. Comme on le voit, le western n’a jamais véritablement disparu. Lorsqu’il déserte le grand écran, il conquiert le petit et se décline en de multiples séries télévisées très populaires et constamment rediffusées dans les années 1980, comme Le Virginien, Au nom de la loi, Rawhide, Les Mystères de l’Ouest et quantité d’autres, jusqu’aux productions télévisuelles très récentes comme Deadwood, Westworld, Godless ou encore Yellowstone.

Genre historique consacré à l’Histoire du pays qui l’a vu naître, le western développe néanmoins des sujets parfaitement universels, ce qui lui a valu un succès planétaire. Les innombrables figures et légendes de l’Ouest traitent de l’adversité, de la fraternité, de la cupidité, de la lutte pour la survie, mais elles racontent aussi la naissance d’une nation, l’éclosion de la démocratie et la genèse d’une civilisation, si bien qu’on a souvent comparé le western à la tragédie grecque.La richesse de sa matière et la diversité de ses formes dépassent n’importe quelle frontière. À un tel point qu’aujourd’hui encore, la piste du western reste ouverte aux explorations les plus fertiles.