Présentation

Le sénateur Stoddard, de retour à Shinbone pour l’enterrement de Tom Doniphon, raconte les circonstances de leur rencontre à des journalistes locaux. Son récit débute sa première confrontation avec Liberty Valance à l’accasion de l’attaque de la diligence qui l’emmenait vers l’Ouest.

Pistes d’analyse
– flash-back dans l’Ouest épique : le motif de la diligence
– une mise en scène réflexive : décor, motifs symboliques, hors-champ.



The Duke is Dead

Dès le début du film, le héros est déjà mort. Le nom de Tom Doniphon n’évoque plus rien du tout au rédacteur-en-chef actuel du « Shinbone Star ». « Aucune mention d’un Tom Doniphon dans nos archives », précise-t-il avant que Stoddard ne commence son récit. De cet Ouest légendaire (largement incarné par John Wayne, que la presse surnommait « The Duke »), il ne reste plus que la poussière qui recouvre la vieille diligence, entreposée-là depuis l’arrivée des lignes de chemin de fer. Vestige d’un autre temps, donc, mais aussi vestige d’un autre film de Ford, La Chevauchée fantastique (1939), où l’acteur fétiche du cinéaste faisait une entrée en majesté, qui allait décider de sa persona cinématographique pour toute sa carrière.

Pour les familiers de l’œuvre de Ford, cette fameuse diligence de « l’Overland Stage Line » fait donc signe autant qu’elle fait sens (pour l’anecdote, il s’agit de la vraie diligence de 1939). Mais cette fois-ci, ce n’est pas à un voyage dans l’espace que l’on nous convie, mais bien à un voyage dans le temps. En 1962, « l’overland » devient un « overtime » : contre la linéarité presque consubstantielle au western (on avance en ligne droite, toujours plus loin vers l’ouest), Ford opte ici pour un récit en flash-back, qui enchâssera un autre retour en arrière, soit donc une structure peu habituelle, voire contraire aux impératifs du genre.

Lorsque Stoddard amorce son récit, le film semble lui-même revenir au temps de l’Ouest épique. « J’ai suivi à la lettre les conseils d’Horace Greeley* », déclare l’homme politique aux tempes grisonnantes. « Go West Young Man ! C’est là qu’il faut chercher succès, fortune et aventure ». On est alors immédiatement projeté dans l’Ouest et sa mythologie filmée. Le flash-back s’ouvre en effet sur une scène de genre typique : une attaque de diligence.
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* Horace Greeley est l’un des fondateurs du Parti Républicain. Il fut également un éditeur de tout premier ordre. Son « New York Tribune » a été le journal le plus influent des années 1840-1870.




La griffe du passé

Toutefois, pas de grands espaces ici comme dans La Chevauchée fantastique. C’est même exactement le contraire. La séquence affiche ostensiblement tout l’artifice d’un tournage en studio, avec rochers de carton-pâte et larges ombres qui s’étirent sur le sol, trahissant la présence de sources lumineuses autre que le clair de lune censé éclairer les personnages. Si bien que cette supposée scène d’action se voit d’emblée marquée par un fort coefficient d’abstraction.

Malgré tout, les premières images semblent bien répondre au programme générique attendu. Valance, le bandit de grand chemin, surgit dans le plan par le bas du cadre, comme un diablotin sur ressort le ferait de sa boîte. Il porte la tenue « règlementaire » : long manteau cache-poussière et foulard noué sur le visage, au même titre que ses acolytes. Il dévalise la diligence qui convoie les fonds de la banque des Cattlemens (pour lesquels il deviendra plus tard l’homme de main) et soustrait les voyageurs de leurs maigres possessions, comme le veut la tradition.

Mais l’enjeu véritable est ailleurs ; c’est la raison pour laquelle Ford accentue l’artificialité du tournage en studio, comme pour signaler que l’action est mise au service de la réflexion. La rage de Valance s’exerce en effet moins sur un individu qui s’interpose que sur une idée qui s’impose. Lorsqu’il demande à Stoddard : « Toi, quel homme t’es ? », le pied-tendre répond par sa fonction : « Je suis avocat », ce qui a pour effet immédiat de mettre le hors-la-loi hors de lui. De manière symptomatique, la violence physique se double alors d’une violence symbolique dirigée contre les livres que le jeune homme transporte avec lui. Un livre en particulier retient l’attention du bandit : le Code pénal, qu’il déchire avant de faire pleuvoir les coups. Cette scène expose ainsi le thème central de tout le film, lequel concerne les rapports complexes qu’entretiennent la violence et la loi dans la construction du pays.


Valance is Violence

Le patronyme du outlaw vaut comme une déclaration à peine voilée : Valance, c’est la violence. La violence brute, primitive, comme le montre la fin de la séquence, où la caméra s’avance pour recadrer sur le bandit déchainé et tenir la victime rouée de coups dans le hors champ. Pas de spectacularisation de la violence donc, mais une réflexion sur elle, comme on pourra le vérifier par la suite.

L’attaque de la diligence met donc en place une opposition structurante, qui sera déclinée sur toute la durée du film : d’un côté la loi de l’Ouest, celle de l’homme au colt (ici l’homme au fouet) ; de l’autre la loi de l’Est, celle de l’homme au code (ici l’homme bafoué).