Présentation

Au cours des élections de Capitol City, Stoddard est mis en cause par son adversaire politique au sujet de l’assassinat de Valance. S’avouant illégitime, le jeune avocat quitte le meeting. Doniphon entre alors en scène une dernière fois, pour soulager la conscience de son ami et faire en sorte qu’il remporte la bataille électorale.

Pistes d’analyse
– La mise en scène du flash-back : enjeux narratifs et symboliques.
– La disparition de Doniphon : d’un monde à l’autre.





Une révélation théâtralisée

La séquence repose sur un « flashback dans le flashback » dans lequel Doniphon révèle à Stoddard ce qui s’est véritablement produit durant le duel. On voit donc ce qui était resté hors champ pendant la précédente version de l’affrontement armé : l’homme qui a tué Liberty Valance n’est pas l’avocat dépité mais le cowboy embusqué, qui sort littéralement de l’ombre et y retourne une fois le meurtre accompli et le bandit mis au tapis. Tel un deus ex machina, la confession de Doniphon dédouane ainsi moralement Stoddard et restaure sa légitimité élective.

Scène capitale du film, ce flash-back fait l’objet d’une forte théâtralisation qui souligne son importance dramatique et symbolique :
– Il est introduit par un travelling avant sur le visage de Doniphon, qui disparaît dans la fumée de cigarette pour céder la place à un fondu au noir sur l’entrée dans le champ du personnage. Le réalisateur utilise donc un triple procédé, à l’artificialité revendiquée, pour dramatiser la révélation des faits.
– La composition de l’image désigne fortement la frontière entre deux scènes : au premier-plan, le tireur embusqué, plongé dans l’ombre, et au second plan, la scène « officielle » de l’affrontement entre Valance et Stoddard. L’association de Doniphon au motif de l’ombre répond certes à une motivation dramatique, mais aussi symbolique : le personnage est l’agent anonyme d’une histoire qui n’est plus la sienne, ce dont témoigne son regard amer au deuxième plan du flash-back.
– L’enchaînement chorégraphique des gestes de Doniphon et Pompey témoigne de leur maîtrise des armes : l’efficacité repose sur la précision et l’économie des gestes. La sobriété de cette mécanique du meurtre est soulignée par la stricte symétrie de la scène : entrée et sortie de champ, double lancer du fusil et composition du cadre.
La mise en scène souligne ainsi le propos du film : Doniphon est l’auteur de la mort de Valance au titre d’agent anonyme et Stoddard accède au statut de héros victorieux d’un duel symbolique entre la Loi et la Violence.

La transgression des codes
Ce moment de vérité impromptu sanctionne néanmoins un triple mouvement de transgression, pour les personnages comme pour le metteur en scène. Bien qu’il ne soit pas le véritable auteur des faits, Stoddard a tout de même pris la décision de recourir à la violence armée, reniant de la sorte (même de manière temporaire) son éthique d’homme de loi, garant du droit. De son côté, Doniphon opère une singulière entorse au fameux code d’honneur du vieil ouest mythique : il ne divulgue pas sa présence au moment du duel ; il agit en coulisse et abat froidement le bandit, comme s’il lui tirait une balle dans le dos, au mépris donc des règles chevaleresques de l’affrontement d’homme à homme, en face à face. Le cinéaste lui-même procède ici à une étonnante distorsion de l’un des usages du western classique, qui préfère naturellement la ligne droite, la progression linéaire (« Go West ! ») et s’aventure rarement sur le terrain des emboitements narratifs sophistiqués, a fortiori lorsque ces derniers sont destinés à remettre en cause l’Histoire officielle.



Grandeur d’une disparition

L’Homme qui tua Liberty Valance n’est autre que la chronique d’une passation de pouvoir. En dédouanant Stoddard, Doniphon lui cède sa place et également celle qu’il aime. « Hallie est à toi maintenant. Tu lui as appris à lire », déclare alors le cowboy à l’avocat, avant que ce dernier ne parte rejoindre le meeting de Capitol City, où il est acclamé par la foule de ses supporters. La grandeur de Doniphon, c’est celle qui consiste à accepter de disparaître. Il appartient au passé et il le sait. Il tire sa révérence en sortant une dernière fois du cadre, devant une affiche électorale du parti opposé à Stoddard qui proclame : « Votez pour un territoire ouvert, votez Langhorne » – un slogan qui anticipe leur défaite, dans la mesure où l’open range appartient presque déjà au passé historique, tout comme à celui du western dont il fut jadis l’un des motifs emblématiques : les fameux « grands espaces » s’étalant à perte de vue, qui sont ici devenus synonymes de l’hégémonie des puissants (les cattlebarons) et du danger monopolistique.

L’histoire de Doniphon s’arrête là et l’on revient ensuite au présent de la narration, en 1910, où tout le monde a oublié l’homme de l’ouest et où l’on s’apprête à imprimer la légende personnelle de l’homme politique qu’est devenu Stoddard, en dépit de la révélation des faits.