Présentation de la séquence

Dissimulé derrière le mur de la maison de Baines, Stewart assiste à la première véritable relation sexuelle du couple d’amants. Plusieurs plans de La Leçon de piano mettent aen scène Stewart dans la position du voyeur avec un double enjeu : désigner le mari comme tiers exclu et souligner le caractère érotique de la scène la surcadrant de manière ostentatoire.

Pistes d’analyse
– le regard de Stewart
– Baines et Ada : une mise en scène picturale
– la symbolique des accessoires


L’affût du voyeur

Un plan d’ensemble montre l’arrivée de Stewart devant la cabane silencieuse et apparemment désertée. La curiosité de Stewart est soulignée par les deux plans suivants qui accompagnent son approche en gros plan et en plan rapproché.
Il est doublé de façon comique par le chien boiteux, qui le suit comme son ombre et semble même traduire par ses jappements le désarroi de son maître.

Au bruit de la forêt et du chien se substitue, à mesure que Stewart se rapproche de la cabane, les bruits hors-champ du couple, leurs souffles et leurs baisers, qui attisent sa curiosité. La discrétion du voyeur est soulignée à l’image par une composition uniforme de tons gris (murs, veste, peau) contrastant avec la saturation des couleurs à l’intérieur de la cabane.


Le trou de la serrure

L’œil collé aux planches de la cabane, Stewart regarde à travers une fente. La mise en scène adopte alors son point de vue par un plan subjectif obstruant le champ de part et d’autre du « trou » montrant les ébats amoureux de Baines et Ada. L’Ada qui se détache sur un fond uniformément noir, dans un plan dédié à l’expression de son abandon transgressif au plaisir.

Secoué, Stewart a le souffle court, mais ne cherche pourtant pas à interrompre la scène, mais plutôt à trouver un meilleur emplacement pour en profiter. Il peut alors, dans un second plan subjectif, voir Baines plonger sous la robe de Ada. L’armature rigide du vêtement sert alors, une nouvelle fois depuis l’arrivée sur la plage, à protéger des regards, tout en évoquant un véritable accessoire érotique. La scène présente ainsi une triple transgression : la révélation de la tromperie de Stewart, le voyeurisme du mari et le détournement suggestif de la robe à baleines.

Transfert et frustation

La contemplation de Stewart est brutalement interrompue par un cut brutal qui nous ramène derrière lui pour remontrer le chien occupé à lécher avidement la main de son maître. Le son des lapements se substituent aux bruits humides des baisers de Baines pour souligner, avec un humour cruel, succédanée dérisoire dont doit se contenter le mari frustré et dégouté.


Une peinture de la passion amoureuse

La mise en scène de la relation sexuelle relève d’une esthétique picturale soulignant la fusion entre les amants :
– lumière rougeâtre soulignant le modelé des corps et les drapés du lit qui se détachent de l’obscurité ambiante
– cadre fermé, bordé par le matelas et le rideau à droite.

Cette composition convoque la riche tradition picturale de la femme nue au lit, de Velasquez à Manet en passant par Ingres, pour désigner la scène comme un spectacle auquel le spectateur est invité. Le travelling avant autonome et la musique romantique contribuent par ailleurs à impliquer le spectateur, à la suite de Stewart, dans la contemplation des ébats offerts à son regard.

Filmé en plan rapproché, le plan suivant témoigne de l’intimité du couple montrée à l’image et mise en évidence par la confidence inaudible d’Ada à Baines. Jane Campion souligne ici la connivence des amants, sur la musique de Nyman intitulée « Big My Secret » de manière suggestive.


Symbolique des accessoires

Après l’amour, le retour à la réalité est brutal. À l’issue d’une ellipse, le plan suivant montre Ada enfilant sa jarretière en gros plan puis son corset. Filmé en travelling d’accompagnement de ses gestes, le plan décline les multiples pièces de vêtement qui constituent la tenue normale d’une femme de l’ époque : bas, jupon, mitaines, manches, corset, chemisier, sans oublier la coiffure qui doit contrôler les cheveux aussi bien que le reste du corps. Dans ce plan exemplaire, les vêtements témoignent symboliquement de l’identité sociale « corsetée » d’Ada.

Il est à cet égard révélateur que le mari voyeur, ridiculement caché sous la maison pour satisfaire son voyeurisme, ne récupère qu’un bouton de la robe de sa femme, tombé dans son cou. La relation maritale, fondée sur un ordre social contraignant, ne lui donne accès qu’à des succédanés alimentant sa frustration, comme ce bouton dérisoire.