Présentation de la séquence

Arrivée à Daresh sur les conseils de son professeur, Jeanne parvient avec difficulté à trouver un interlocuteur pour la renseigner sur la photo retrouvée dans les affaires de Nawal. Cette séquence inaugure le montage parallèle de l’itinéraire des deux femmes : Jeanne cherche à reconstituer l’histoire de sa mère dont la photo témoigne de l’engagement militant pour la paix.

Pistes d’analyse
– le motif photographique : trace, indice et témoignage
– Une guerre sans nom : l’évocation indirecte du conflit libanais



Le portrait de Nawal : la photo-indice

La photographie de Nawal est le seul indice en la possession de Jeanne pour reconstituer l’histoire de sa mère : un portrait en noir et blanc orné d’inscriptions arabes en arrière-plan. La séquence fournit les premiers éléments de l’enquête : sa mère était étudiante à l’université et a été emprisonnée à Kfar Riat d’après les souvenirs de l’enseignant interrogé.

La mise en scène s’attache à dramatiser le travail de remémoration du professeur à partir de la photographie. La séquence commence ainsi in medias res en plan semi-subjectif sur le document en gros plan à partir de la perspective d’un homme, la tête en amorce, qui l’examine attentivement. Le contrechamp sur le visage tendu de Jeanne témoigne de son attention sur les paroles hors-champ de son interlocuteur. Lorsqu’enfin le visage du professeur apparaît, le corps de Jeanne cache la moitié de l’écran pour mettre en valeur sa parole : la mise en scène privilégie le mécanisme de remémoration de cette histoire lointaine par des gros plans et confère ainsi une forte autorité aux informations énoncées par le professeur.

Ses derniers mots « Vous n’êtes définitivement pas d’ici, vous ne connaissez pas le Sud » en plan de demi-ensemble, annonce l’itinéraire de découverte qui attend Jeanne au sein d’un univers complexe et mystérieux.



Luttes militantes : la photo-témoignage

La séquence suivante commence d’une manière similaire à la précédente par une succession de photographies de manifestations en noir et blanc présentées de manière décadrée sur une table lumineuse. Même choix du gros plan in medias res sur des images dont la présentation est accompagnée par le bruit frénétique, en son hors-champ, de machines à écrire évoquant la rédaction d’un journal. Plutôt qu’une mise en contexte explicite, le réalisateur préfère attaquer les deux séquences par la mise en évidence du motif de la photographie, à la fois comme indice et comme témoignage d’une histoire mouvementée. On note que la composition de la photo sur l’homme qui court fait référence à un célèbre cliché du photographe Henri Cartier Bresson, Derrière la Gare Saint-Lazare, qui contribue à inscrire ces photos dans le registre du photojournalisme.

Nawal est visible parmi les manifestants de l’une des photographies, confirmant sa participation à l’histoire du pays. À l’échelle du récit, le passage d’une photographie de Nawal au présent à une autre comme manifestante dans le passé permet de relier les deux temps et les deux femmes par le recours à l’archive.

Un plan sur la table lumineuse montrant de nombreuses images étalées, regardées à la loupe par les étudiants et accompagné par la dictée en son hors champ d’un article destiné à la communauté internationale, permet d’inscrire ces photographies dans le contexte de la publication d’un journal étudiant. À la fixité des plans précédents présentant le travail journalistique succède un travelling introduisant Nawal dans une attitude de concentration méditative qui indique son implication militante dans le prolongement de son histoire personnelle.


Une évocation indirecte de la guerre du Liban

La séquence propose un exposé synthétique du contexte conflictuel dans lequel s’inscrit le récit et les motivations pacifistes de l’organisation étudiante. Les explications de Nawal font référence à la guerre civile libanaise sans que les propos ne citent nommément les protagonistes : le parti nationaliste, les milices chrétiennes ou la nationalité des réfugiés sont désignés en termes génériques. Le récit manifeste en effet le double souci de faire référence de la guerre du Liban, dont la situation politique dans les années 80 est clairement identifiable, tout en généralisant le propos à des mécanismes de violence à caractère universel au sein de l’univers fictionnel.

L’exposé est interrompu par le bruit hors-champ des chars envahissant la ville, conférant une dimension concrète à l’exposé des deux étudiantes comme aux photos précédemment montrées. Leur irruption est montrée en travelling avant rapide, à travers le surcadrage d’une fenêtre à barreaux portant l’inscription « Palestine » : une mention exclue du dialogue, mais mise en valeur dans l’image, dans un effet de contextualisation indirecte de l’action.

L’irruption des chars : une reconstitution réaliste

La réaction de Nawal témoigne de son engagement militant : elle sort dans la rue au milieu des chars à l’annonce de la fermeture du campus par les nationalistes. La mise en scène recherche l’effet de réalité par un traitement documentaire de l’action : caméra portée, montage haché et bande sonore réaliste contribuent à susciter un effet d’immersion.
Tout le déroulement de la séquence, de la photo de Nawal montrée au professeur jusqu’à l’arrivée des chars apparait donc dicté par le souci de reconstituer l’histoire dramatique du pays, le Sud jamais désigné comme le Sud du Liban, à travers le double itinéraire de Jeanne et de Nawal.