Présentation

La représentation de la violence au cinéma engage des enjeux à la fois esthétiques et moraux et reste tributaire de nombreux facteurs : codes de censure, genres cinématographiques et acceptabilité sociale. Si le cinéma classique privilégie la suggestion, la modernité cinématographique s’autorise une représentation explicite voire spectaculaire de la violence à partir des année 60. La période contemporaine témoigne d’un rapport décomplexé à la violence qui peut se présenter sous la forme d’une véritable pyrotechnie au caractère ludique revendiqué.


M. le maudit (Fritz Lang, 1931)

Dans son premier film parlant, Fritz Lang choisit de mettre en scène un tueur d’enfants, s’inspirant de l’affaire Peter Kürten et d’autres faits divers qui avaient terrifiés l’Allemagne au début du XXème siècle. L’époque n’est pas aux détails sanglants et le réalisateur travaille au contraire toutes les possibilités du hors – champ et d’une mise en scène encore imprégnée de l’esthétique expressionniste.

La première scène suit en particulier la routine d’une mère attendant le retour de sa petite fille pour manger. Inquiète de son retard, elle l’appelle par la fenêtre. À ses cris, répondent une série de plans implacables, et qui suggèrent déjà le drame : une cage d’escalier vertigineuse et vide, un grenier tout aussi désert où sèchent des robes évoquant presque des cadavres, une assiette mise sur la table, qui attend une enfant qui ne reviendra plus manger. Les deux derniers plans montrant d’une part le ballon de la petite Elsie rouler, seul, dans l’herbe, et le ballon offert par le meurtrier coincé dans des fils électriques rappelant les étendoirs à linge confirment le pire : Elsie a été tué par le meurtrier d’enfants qui terrorise la ville.

En 5 plans presque fixes, qui pourraient être anodins dans un autre contexte, et sans jamais montrer le meurtre et le corps de l’enfant, Fritz Lang met en scène la mort d’un enfant.


Bonnie & Clyde (Arthur Penn, 1967)

Ce film est souvent considéré comme le coup de grâce au code Hays : code de censure qui régulait depuis le début des années 1930 les représentations cinématographiques aux Etats-Unis. Alors que le public américain a vu et revu le meurtre du président John Fitzgerald Kennedy en 1963 et est abreuvé des horreurs de la guerre du Vietnam à la télévision, le film d’Arthur Penn représente une rupture dans l’histoire de la représentation de la violence au cinéma, en adéquation avec son époque.

La scène finale de la mise à mort de Bonnie et de Clyde constitue à la fois une prouesse technique et une révolution esthétique. Penn utilise pour la première fois une succession d’effets pour n’épargner aucun détail de la mort des deux héros, définissant ce que Jean-Baptiste Thoret nomme un « cadre-cible ». Le montage rapide, le ralenti (associé à un son à vitesse normale), les répétitions de plans et l’usage de la nouvelle « technique des impacts » (qui consiste à faire exploser de petits pétards remplis de faux sang dissimulés sous les vêtements) transforme les héros en marionnettes ensanglantées, relevant d’une violence inédite d’un point de vue graphique (empruntant au code du cinéma gore apparu quelques années auparavant et réservé au circuit cinématographique de l’exploitation), et morale (la violence n’y est jamais légitimée, au contraire des œuvres du cinéma classique).



Kill Bill : Vol. 1 (Quentin Tarantino, 2003)

La violence spectaculaire des films de Tarantino est une marque de fabrique du réalisateur depuis ses débuts avec Reservoir Dogs et sa fameuse scène de torture dansante sur le tube seventies Stuck in The Middle With You. Dans Kill Bill, probablement le film le plus sanglant de sa carrière, la stylisation et le second degré, parfois à la limite de la parodie, traduisent bien l’envie sans cesse revendiquée par Tarantino, de considérer toutes les images comme ludiques, même les plus violentes. Lors de sa master class à la Quinzaine des réalisateurs 2023, il déclarait ainsi : « Si je peux supporter les scènes violentes dans mes films, c’est parce qu’avec mes acteurs, on déconne et on s’amuse. Et ça fonctionne parce que tout ça, c’est imaginaire ». Empruntant les techniques de combat aux films de sabres japonais, les effets irréalistes au cinéma d’animation et les membres sectionnées au grand-guignol au rythme d’un sound design cartoonesque, Kill Bill organise une véritable fête foraine de la violence. Petite concession toutefois, le massacre des 88 assaillants de Black Mamba dans cette séquence spectaculaire est en noir et blanc dans la version internationale du film, un moyen d’éviter la censure, justifié par le réalisateur comme un hommage aux films de kung-fu des années 70 qui utilisaient cette technique pour pouvoir être diffusés à la télévision. L’utilisation de techniques de censure de la violence relève dès lors d’un nouveau clin d’œil à l’histoire du cinéma dont Tarantino a le secret.