– Interpréter le premier plan du film proposant un travelling en gros plan sur un clochard assoupi.
– Relever les motifs qui introduisent le théme de la marginalité de Hire au sein du proloque.

Le premier plan : un clochard indésirable
La première image du film montre en gros plan les pieds d’un homme allongé sur un banc avant qu’un panoramique horizontal nous révèle son visage en insistant sur l’immobilité et l’indigence du personnage. Un homme qui dort. Et rien ne ressemble plus à un homme mort qu’un homme qui dort. D’une certaine façon, il s’agit d’ailleurs bien d’un homme « socialement » mort : un clochard, qu’un gendarme fait déguerpir avec autorité. Le récit s’ouvre donc sur un « indésirable » que l’on chasse de la place de la ville – le gendarme tape sur le banc avec sa matraque pour réveiller celui qui contrevient au bon ordonnancement de l’espace public. Cette saynète d’abord perçue comme simplement pittoresque, préfigure le sort de Monsieur Hire, lui aussi désigné comme « indésirable, qui finira étendu au milieu de la place de la ville, figé dans une immobilité définitive.
Le gros plan initial sur les pieds immobiles du clochard trouve par ailleurs son pendant à l’occasion de la découverte du cadavre de Mlle Noblet, dans une rime visuelle qui annonce la dynamique mortifère du récit.

Motif symbolique : les inscriptions foraines
Tandis que le clochard rassemble ses pauvres affaires pour quitter les lieux, un travelling arrière élargit le champ pour montrer l’arrivée des forains. À l’arrière-plan, les inscriptions sur les camions font défiler plusieurs noms d’attractions, qui fonctionnent comme le générique des péripéties à venir : le « Bobsleigh » et le « Tourbillon infernal » ne se joueront pas dans les montagnes de carton-pâte des manèges, mais sur le toit pentu d’un immeuble – la véritable « grande attraction finale » qui fera bien du tort aux gens du voyage. Puis, à l’issue d’un raccord dans l’axe en plan général dévoilant la place de la ville de manière théâtrale (un auvent en forme de rideau borde le cadre), un autre véhicule annonce le « tir des nations », où il s’agira cette fois de dégommer une cible vivante, unanimement élue en bouc émissaire. Une « répétition générale » aura d’ailleurs lieu sur le stand des autos tamponneuses, où Hire sera désigné comme cible privilégiée par l’ensemble des joyeux drilles. « Regarde le barbu ! », lancera une jeune femme, exacerbant ainsi la hargne collective en direction de la victime désignée.

Thème et contexte : Villejuif – Terminus
Mais pour l’heure, c’est simplement l’autobus qui arrive sur la place, et « le barbu » en descend sans encombre. L’action du préposé attire notre attention sur le nom de la ville qui va servir de théâtre au récit : Villejuif. Ce toponyme signifiant « village juif » tiendrait son origine à sa fondation par des juifs chassés de Paris au XIème siècle et coïncide avec l’entrée en scène de Monsieur Hire, dont le patronyme entier (« Hirovitch ») et la tenue vestimentaire évoquent la judéité (Hire a clairement l’allure d’un rabbin).
L’immense fresque publicitaire pour l’apéritif « Suze peut faire allusion au film de propagande nazie intitulé Le Juif Süss, réalisé en 1940 par Veit Harlan, sous la supervision directe de Joseph Goebbels – film demeuré tristement célèbre en raison de son propos ouvertement antisémite. Cette association phonétique est convaincante dans la mesure où toutes les mentions écrites figurant dans ce prologue constituent autant de signes avant-coureurs de la tragédie en marche, en référence à l’antisémitisme des années 30-40.

Présentation du personnage : Hire photographe
La première rencontre que fait Hire lorsqu’il sort du bus est le clochard se disputant avec un chien le contenu d’une poubelle face à la devanture du boucher. Le retour de ce premier « indésirable » est souligné par le fait que Hire dégaine son appareil-photo pour saisir l’instant. Son habileté de photographe-documentariste est mise en exergue par un brusque effet de zoom. Hire capte ainsi ce moment sur le vif, sans attirer l’attention. Cette rapide notation permet de conforter l’association entre Hire et le clochard mais aussi de le présenter comme d’emblée comme un observateur de la société et un photographe discret, susceptible d’avoir saisi l’assassinat de Mademoiselle Noblet à l’insu d’Alfred.