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L’univers de Hayao Miyazaki fascine par la densité de son imaginaire, nourri par une profonde imprégnation de la culture japonaise. Pourtant, ses films sont également traversés par d’innombrables références à la culture occidentale – contes, littérature, mythologie – qui créent chez le spectateur occidental un sentiment de familiarité.
Cette vidéo évoque la carrière de Miyazaki du point des vue de l’appropriation des ces références à la littérature occidentales qui ont nourri son oeuvre.



La formation de Myazaki : un croisement d’influences

Pendant ses études d’économie, Miyazaki perfectionne son art du dessin et participe à un groupe d’études sur la littérature mondiale pour la jeunesse. Cette culture littéraire irrigue dès ses débuts ses travaux pour le studio Toei, qui ambitionne alors de rivaliser avec Disney en adaptant des récits occidentaux. Dans Le Chat botté (1969), bien qu’il ne soit encore qu’animateur, Miyazaki conçoit une séquence marquante : la représentation du château de Lucifer, inspirée du film La Bergère et le Ramoneur de Paul Grimault et Jacques Prévert. Ce film constitue pour lui un modèle durable, auquel il rend hommage dans son premier long métrage, Le Château de Cagliostro.
On retrouvera également cet héritage dans Le Château dans le ciel, notamment à travers le motif du robot protecteur, et jusque dans Le Voyage de Chihiro, où la verticalité de l’établissement de bains évoque la hiérarchie sociale du royaume de Takicardie imaginé par Grimault.

C’est également à la Toei qu’il rencontre Isao Takahata, avec qui il fondera vingt ans plus tard les studios Ghibli. Leur première collaboration sur Horus, prince du soleil permet à Miyazaki d’affiner sa compréhension de la scénographie et de proposer des idées visuelles fortes, comme la pierre monumentale dont Horus arrache l’épée du Soleil — une référence directe à la légende arthurienne. Ce geste créatif révèle déjà son approche : puiser librement dans les mythes et légendes pour nourrir ses propres univers.



Myazaki et Takahata : deux démarches opposée

Isao Takahata adopte une démarche d’adaptation littérale lorsqu’il travaille sur des œuvres occidentales, notamment dans ses séries des années 1970 (Heidi, Anne… la maison aux pignons verts). Son objectif est de restituer la continuité narrative, la psychologie des personnages, et l’imaginaire du texte original. Dans Anne… la maison aux pignons verts, la scène du serment d’amitié illustre cette méthode : là où le livre évoque un ruisseau sous lequel prêter serment, Takahata matérialise l’eau par l’animation, rendant perceptible l’imaginaire des héroïnes.

À l’inverse, Miyazaki ne vise jamais une adaptation fidèle. Lorsqu’il réalise Conan, le fils du futur, il conserve peu de choses du roman d’Alexander Key (La Grande Marée). Il extrait librement ce qui l’inspire pour construire un univers personnel, où germent déjà les personnages et thématiques de ses futurs films. Il transpose Nausicaä, figure homérique, dans un monde post-apocalyptique ; reprend un motif des Voyages de Gulliver pour Le Château dans le ciel ; et adapte librement l’esprit de Jules Verne pour nourrir ses récits d’aventures. Ses relectures de Sherlock Holmes et Arsène Lupin servent avant tout de prétexte à l’invention de scènes rocambolesques, dans un esprit d’aventure plutôt que de fidélité.

Les œuvres de Miyazaki sont ainsi émaillées de références occidentales discrètement transposées. Porco Rosso emprunte des éléments à La Belle et la Bête, tandis que Ponyo sur la falaise s’enracine dans La Petite Sirène. Le récit de Chihiro emprunte aussi des récits mythiques : l’énigme posée par Yubaba rappelle celle du Sphinx dans la mythologie grecque, tandis que l’injonction de ne pas se retourner pour quitter le monde des esprits renvoie au mythe biblique de Sodome et Gomorrhe.



Alice au pays des merveilles : une référence majeure

Parmi toutes les références occidentales, Alice au pays des merveilles occupe une place à part. On en retrouve l’empreinte dans Mon voisin Totoro, où la petite fille suit des créatures mystérieuses et traverse un monde extraordinaire après avoir franchi un buisson, écho direct à la chute d’Alice dans son terrier. Dans Mon voisin Totoro, le chat-bus semble directement inspiré des illustrations de John Tenniel pour Lewis Carroll. Miyazaki semble d’ailleurs puiser ses références davantage dans l’œuvre originale que dans l’adaptation disneyenne, qui atténue l’étrangeté inquiétante du roman au profit d’une fantaisie plus colorée.Dans Le Voyage de Chihiro, les portes minuscules, les métamorphoses dues à la nourriture, l’autorité tyrannique de Yubaba — proche de la Reine de Cœur ou de la Duchesse — traduisent une atmosphère proche de celle de Carroll. Même Si tu tends l’oreille, film scénarisé par Miyazaki, propose une relecture plus adulte du voyage initiatique d’Alice, transposé dans la banlieue tokyoïte contemporaine.

Miyazaki ne se contente pas d’adapter : il recrée, recombine, et enrichit son univers personnel à partir d’une mosaïque de références, où la culture occidentale, fragmentaire mais foisonnante, est indissociable de sa propre fantaisie créatrice.